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Togo : candidature unique de l’opposition, point de vue de 2 universitaires

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Sur initiative du prélat togolais Mgr Philippe Fanoko Kpodzro , archevêque émérite de Lomé, un seul candidat a été choisi pour représenter l’opposition togolaise à la présidentielle de février 2020. Toutefois, l’homme politique Agbéyomé Kodjo désigné pour l’occasion ne fait pas l’unanimité au sein de l’opinion publique. Des universitaires notamment Maryse Qwashie et Roger Folikoué se sont également prononcés sur le sujet.

Voici leur analyse :

« Le 31 décembre 2019, c’est au nom de la foi qu’on a demandé aux citoyens Togolais d’accepter la désignation d’une personne précise pour conduire les destinées de leur pays à partir de 2020 car Dieu « aurait désigné » cet homme. Même si nous pensons que ce Dieu auquel on fait référence est aussi le nôtre, nous avons la certitude que ce même Dieu a doté l’homme de toutes les capacités d’analyse et de discernement nécessaires pour juger si un candidat convient ou non dans la prise en compte des signes du temps. Ce qui dérange et peut choquer ce n’est pas la référence à Dieu, seul Maître de l’Histoire et créateur de l’homme comme un être politique, mais l’instrumentalisation d’un membre de la hiérarchie d’une Eglise pour conférer une onction. Heureusement que Dieu a fait don de la raison et laisse la liberté aux hommes pour choisir en connaissance de cause.

Nous avons déjà tourné la page sur ce qui semble être le résultat d’un processus qui date d’un autre âge… Et comme c’était en 2019, nous pouvons rapidement oublier le fait.

Mais pas avant de revenir sur ce qui constitue un aspect important du problème de cette désignation. Ce qui nous scandalise, en effet, c’est qu’un candidat accepte d’être ainsi « imposé » aux citoyens, en jouant sur le fait que la plupart des citoyens sont des croyants, et par conséquent, qu’ils se laisseront peut-être manipuler. Ce candidat croit-il que les Togolais de 2019, que dis-je de 2020, sont incapables de décider par eux-mêmes de celui qui convient à la tête du pays ? Ce candidat croirait-il par hasard se refaire ainsi une virginité par la personne qui l’aurait désigné ? Les citoyens pourront-ils oublier son parcours d’abord avant 1990 avec l’ancien régime, et puis depuis 2005, tantôt dans l’opposition, tantôt dans la majorité ? S’ils avaient le loisir de l’interroger, les citoyens oublieraient-ils de lui poser des questions sur tant et tant de sujets : la répartition des richesses de ce pays, le sens des choix politiques antérieurs auquel il a participé, les massacres de Fréau Jardin etc. Dieu serait-il réellement à la base de tous ses choix ? Ce candidat sait-il que nous sommes en 2020 ?

Sommes-nous vraiment en 2020 ? La question se pose aussi à propos de ceux qui sont tentés de renouer avec les vieilles méthodes d’avant 1990 ou à coups de billets de banque, on rassemblait quelques milliers de personnes chargées de défiler dans la rue en scandant le nom d’un candidat… Ce candidat dirait après que s’il se présente c’est pour se plier à la volonté du peuple, dans un esprit de sacrifice, puisque lui-même ne l’envisageait guère… Car vox populi, vox Dei, n’est-ce pas ?

Et les candidats, qui laissent la porte ouverte, se disant d’abord indépendants, pour s’attribuer ensuite telle ou telle étiquette ? Croiraient-ils par hasard que les citoyens sont incapables de distinguer entre ceux qui veulent aller aux élections pour le bien commun et ceux qui veulent y aller pour goûter à la griserie du pouvoir ?

Parce que nous sommes en 2020, nous, nous avons foi dans les citoyens togolais qui s’attendent à la transparence des élections en commençant par la clarté et la vérité dans le comportement des candidats. Et pour ça nous pensons que les citoyens ne devraient jamais renoncer à interroger le passé des candidats, à chercher dans leur histoire, à se demander quels ont été leurs choix, leurs engagements car même s’il est vrai que toute personne a droit à l’erreur, et qu’elle peut changer, il faut que cette personne donne les preuves de ce changement. Par conséquent, si des candidats ne sont plus en accord avec leurs options antérieures, on leur demande de faire leur mea culpa et de reconnaître qu’ils avaient fait un mauvais choix à l’époque.

De la même façon, le citoyen togolais, tout en reconnaissant que nous vivons dans un contexte d’interdépendance entre les pays, ne peut pas accepter les candidats qui présentent comme argument pour être élus le fait d’être soutenus par tel ou tel pays, en particulier par telle ou telle puissance occidentale.

Parce que nous sommes en 2020, nous pensons qu’un candidat est d’abord choisi par ses concitoyens, avant de se targuer des appuis hors Togo dont il pourrait bénéficier.

Parce que nous sommes en 2020, nous avons foi dans le citoyen togolais qui a besoin de savoir ce qu’on veut faire de lui dans les mois à venir.

Avant de s’en remettre à Dieu, il veut savoir comment on prendra sa voix en compte, il veut savoir comment les candidats vont se mobiliser chacun et tous pour que, pour une fois, on ait des élections crédibles au Togo.

Avant de s’en remettre à Dieu, le citoyen togolais veut savoir si après les élections, il peut espérer vivre mieux que toutes ces dernières années. Il veut savoir si lui aussi pourra profiter des richesses de ce pays pour sa vie quotidienne, pour le bien-être de ses enfants, pour un meilleur vivre ensemble.

Pour cela, au fond, il n’aurait pas fallu qu’on s’adresse aux candidats d’abord. En effet, les candidats portés par un parti, défendent la ligne politique de ce parti. Même indépendants, ils défendent une ligne politique. C’est elle qu’il faut interroger. Cela permet aux citoyens de se décider en connaissance de cause.

Quelques exemples. Nous sommes en plein débat sur l’Eco. Quelle est la position des candidats sur le simulacre OUATTARA-MACRON du 21 décembre dernier ? Les candidats sont-ils d’accord avec cette position ou non ? Nous avons une quinzaine de candidats, mais il n’y a que deux positions dans cette affaire, cela permet de choisir plus facilement, n’est-ce pas ?

Il en est de même de la question de l’énergie : le parti au pouvoir a choisi de nous faire vivre dans une telle dépendance vis-à-vis du Nigeria, que celui-ci peut décider de nous couper le courant quand il veut. Quels sont les partis qui choisissent la voie des énergies renouvelables, particulièrement le développement de l’énergie solaire, non seulement pour diminuer la dépendance mais surtout pour soulager les Togolais écrasés sous les factures de courant dont le prix augmente constamment ! Là aussi une quinzaine de candidats mais seulement deux voies…

Dernier exemple : qu’est-ce qui est prioritaire dans le domaine des structures de santé ? Le parti au pouvoir prétend que c’est un grand hôpital de référence. Et pas des structures plus accessibles géographiquement et financièrement pour les plus pauvres ? Une quinzaine de candidats, pour deux options fondamentales !

Les citoyens ont besoin de prises de position sur ces points, et tant d’autres, qu’on ne peut tous citer ici, pour choisir eux-mêmes leur candidat au lieu qu’on leur dicte qui est l’homme providentiel !

Finalement pourquoi une telle fixation sur les candidats ? Serions-nous encore aux temps où les citoyens remettaient toute leur vie entre les mains d’une personne sans s’informer d’abord sur la personne, sur ses capacités, sur ses projets, ses atouts ? L’ère de l’homme providentiel est derrière nous et donc nous n’en voulons plus. Nous sommes en 2020, tout de même !

Les potentiels candidats n’ont qu’à faire leur part, se présenter s’ils le veulent, faire campagne c’est-à-dire nous convaincre chacun par des arguments rationnels, qu’il est le meilleur. Et nous, citoyens ferons notre part : nous choisirons en toute liberté lorsque nous serons dans l’isoloir. Qu’on ne fasse aucune pression sur nous, surtout pas en utilisant la religion. Nous avons déjà vécu avec des hommes providentiels avant 1990, pour ceux qui auraient la mémoire courte. Mais nous sommes en 2020 ! »

Maryse QUASHIE et Roger Ekoué FOLIKOUE




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