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Me Kpande-Adzare

Togo : le coup de gueule de Me Kpande-Adzare suite à l’assassinat du jeune Mohamed

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Les réactions se succèdent les unes après les autres au Togo. Ceci, après le décès du jeune Mohamed à Avedji. Vingt-quatre heures après, l’émotion reste vive dans le cœur des togolais. Indignation, révolte, colère, tristesse, amertume… autant de sentiments qui déchirent.

Le défenseur des droits de l’Homme, Me Raphaël Kpande-Adzare se lâche et se saisit de sa plume pour pousser un coup de gueule.

Lecture !

Coup de gueule de Me Raphaël N. Kpande-Adzare.

La vidéo a fait le tour du monde en l’espace de quelques minutes. Telles « âmes sensibles s’abstenir », mais elle force les regards empreints de tristesse, d’amertume, de lamentations, aussi d’un sentiment de révolte : le jeune Mohamed gisait dans son sang, le corps inanimé. Et pourtant, d’autres pages de l’actualité nous le présentaient encore, tel un véritable débrouillard, rompu à la tâche comme qui aime bien son travail le fait, encore affairé à laver les engins roulants (motos et voitures), métier dont il tire son gagne-pain. 

Mais qu’a-t-il fait, Mohamed, de son vrai nom Egah Agbedekessou (Agbande Kpessou), pour mériter un tel sort ?

Un coup de feu a retenti ce jeudi 21 mai 2020 en plein midi à Avédji, un quartier situé en périphérie ouest de Lomé, aux environs du lieu-dit Sun-City. C’est la désolation qui s’en est suivie. Que s’est-il passé ? Les premières informations recueillies auprès de certains témoins de la scène font état de ce que ce jeune qui officie sur une petite station de lavage de voitures et motos, aurait été sollicité par un client pour récupérer la voiture de ce dernier chez lui pour lavage.

Au passage, il aurait été stoppé par les agents des forces de l’ordre qui lui reprocheraient d’avoir mal conduit en procédant à un virement hasardeux dans un tournant. Dans la discussion, l’un des agents aurait sorti un couteau pour menacer le jeune, après l’avoir entre-temps roué des coups de sa ceinture. A la faveur de cette confusion, le jeune homme aurait réussi à prendre, en signe de défense, ledit couteau des mains de l’agent. C’est alors qu’un second agent sur les lieux tire sur le jeune et l’atteint mortellement comme le relate la vidéo qui circule sur les réseaux sociaux, montrant le corps du jeune Mohamed inanimé, gisant dans un bain de sang.

Au journal de 20 heures ce même jour à la Télévision togolaise, l’information est confirmée : le gouvernement informe, par la voix de son ministre de la sécurité et de la protection civile, qu’en effet, un fonctionnaire de police en service dans les environs a dû, dans des circonstances non encore explicables, faire usage de son arme atteignant mortellement le jeune Mohamed. Le communiqué conclut qu’une enquête est immédiatement ouverte pour faire la lumière sur les faits afin de situer les responsabilités ; appelant ensuite, et comme à l’accoutumée, la population au calme et la rassurant que ce grave incident ne restera pas impuni.

Aujourd’hui, le communiqué du gouvernement semble trouver un alibi et nous parle d’une altercation. Y en a-t-il eu toujours ou souvent ? Et même quelques fois ? Quelle altercation a-t-on notée lors des meurtres des enfants Anselme Sinandare Gouyano, Douti Sinalingue, Idrissou Moufidou, Abdel Aziz Zato, Kokou Joseph Zoumekey, Hastou Ouro-Kefia, Yacoubou Abdoulaye, Rachad Mamah Agrigna, et récemment du Lieutenant-colonel Toussaint Bitala Madjoulba ! Dans tous ces cas comme dans celui de Mohamed, des enquêtes ont été ouvertes, mais jamais « fermées ».

Depuis longtemps déjà, nous n’avons de cesse dénoncer le fait que les forces de l’ordre et de sécurité togolaises ont la gâchette facile sur leurs concitoyens, que par leur fait et par l’impunité qui leur est assurée, l’Etat est devenu une réalité menaçante pour ses propres citoyens. Les expéditions punitives aux allures d’une véritable terreur orchestrées par ces mêmes forces de défense sur les populations civiles des villes de Sokodé, Bafilo, Mango ; les actes de barbarie primitive qu’elles commettent sur ces mêmes populations aux mains nues lors des manifestations à Lomé, dans des quartiers comme Bê, Agoès-Zongo, sur les étudiants au sein du campus universitaire et dans les environs, et récemment, le 28 février 2020, sur le jeune Rodrigue Kossi Edem Agbogbo et autres dans l’enceinte et aux alentours du Collège Saint-Joseph, ne viennent que conforter notre analyse.

Au demeurant, Mohamed est un martyr de plus. Sa riposte ou sa résistance « défensive » contre les actes déshumanisants des agents de sécurité, menaçant de porter atteinte son intégrité physique, doit s’analyser, dans le contexte actuel de notre pays, non en un acte de désobéissance, mais en un acte de désespoir : jusqu’à quand ?
Jusqu’à quand dans un pays où l’Etat d’urgence et le couvre-feu décrétés par le gouvernement à titre de mesures barrières contre la pandémie du Covid-19 sont devenus des moments de graves violations des droits de l’homme, et où nos forces de défense pourchassent, arrêtent, passent à tabac, infligent des traitements humiliants, cruels, inhumains et dégradants, mutilent et frappent à mort leurs concitoyens !

Mais face à ces comportements avilissants, qui atteignent déjà leur paroxysme et la limite du supportable au Togo, face à ce « jusqu’à quand » et au désespoir, les révolutions sont la seule promesse de l’espérance des peuples. Elles sont, dans ces cas de figure, au commencement des nations libres.

John Fitzgerald Kennedy, ancien et 35ème président des Etats-Unis d’Amérique déclarait : « A vouloir étouffer les révolutions pacifiques, on rend inévitables les révolutions violentes ». Et même si le pouvoir de Lomé reste assis par les faveurs de son armée, Rousseau lance l’avertissement : « Le plus fort n’est jamais assez pour être toujours le maître, s’il ne transforme sa force en droit, et l’obéissance en devoir ».

Voyons avec ce qui s’est passé avec l’autre Mohamed, précurseur du printemps arabe ! A l’origine de son NON sacrificiel fut un sentiment de désespoir.

Le 17 décembre 2010, l’administration municipale de la ville de Sfax (en Tunisie), confisqua à Mohamed Bouazizi (de son vrai nom Tarek Bouazizi), son outil de travail composé d’une charrette et d’une balance pour non-paiement de pots-de-vin. Parti se plaindre dans les bureaux de la municipalité, Bouazizi fut bousculé, giflé, humilié puis expulsé des lieux par les agents municipaux. Il s’immola par le feu devant les locaux du gouvernorat. Transporté à l’hôpital, son décès sera annoncé le 04 janvier 2011. Rappelons que quelques minutes avant son acte désespéré, Mohamed Bouazizi lança cette phrase à sa sœur Leïla : « Ici, le pauvre n’a pas le droit de vivre ».

Et c’est ce geste de désespoir qui fit naître dans le monde arabe, resté jusque-là à l’abri des tempêtes idéologiques, un élan patriotique d’un type nouveau dont le romantisme a charmé la Place Tahrir quelques jours plus tard. Les commentateurs ont parlé d’un moment historique du 21ème siècle. Par l’abolition de lui-même, Bouazizi a allumé la flemme d’un espoir tout neuf qui emporta, dans les cendres de la honte, une dictature trentenaire pourtant réputée tenace.

Oui ! En l’espace de quelques semaines, des régimes aussi puissants qu’absurdes ont été balayés par la furie des peuples et par l’ardeur d’une jeunesse apolitique, indépendante, uniquement mue par son idéal de dignité et sa soif de liberté.

Monarchies absolues, républiques héréditaires, autocraties militaires, régimes unipersonnels ou fondés sur des liens de tribalité : la contestation de la rue les toucha indistinctement : les pouvoirs de Ben Ali en Tunisie, d’Hosni Mubarak en Egypte et de Mouammar Kadhafi en Libye n’y survivront. A l’heure où tous les travers de la gouvernance du pouvoir rpt/unir sont mis à nus, le meurtre de Mohamed est inacceptable et de trop. Poussant une curiosité dans l’histoire récente, le prénom « Mohamed » a fait couler assez d’encre sous nos cieux. Etymologiquement, « Mohamed » est prénom uniquement masculin, tirant ses origines du prophète Mohamed de l’Islam et signifie « digne de louange ». Mamadou en est une émanation.

En décembre 2010, Mohamed Bouazizi déclenche, par un geste d’abolition, le Printemps arabe. La vidéo fit le tour du monde et le porta en martyr de la liberté. Le 26 mai 2018, le jeune Malien sans papiers, Mamadou Gassama, 22 ans, n’a pas hésité à gravir la façade d’un immeuble du 18ème arrondissement de Paris, pour sauver un enfant de 4 ans suspendu au balcon du quatrième étage. La vidéo fit également le tour du monde et le porta en héro. Son acte de bravoure lui a valu d’être reçu à l’Élysée par Emmanuel Macron, qui lui a remis un diplôme et une médaille pour « acte de courage et de dévouement », ainsi qu’une promesse de naturalisation. Aujourd’hui, Mohamed, ta vidéo circule et atteint les extrémités de la terre. Tu laisses derrière toi, deux enfants mineurs. Tu longes la liste des martyrs de la liberté. Repose en paix et crois que si Sun-City ne présageait pas la Place Tahrir, il en contribuera certainement et sans aucun doute. Les signes ne trompent pas.

Togolais, nous sommes pacifiques, mais nous ne sommes pas passifs. Nous avons vu ce qui s’est passé à Lomé, à Bê, à Agoè-Zongo, sur le campus universitaire. Nous avons été témoins de ce qui s’est passé à Atakpamé, à Sokodé, à Bafilo, à Mango, à Dapaong. Nous sommes témoins de ce qui se passe à Niamtougou. Notre silence n’est pas une indifférence car nous savons bien avec Martin Niemoller que : « En Allemagne, ils ont d’abord arrêté les communistes, et je n’ai pas protesté parce que je n’étais pas communiste. Ils ont ensuite arrêté les juifs, et je n’ai pas protesté parce que je n’étais pas juif. Ils ont ensuite arrêté les syndicalistes, et je n’ai rien dit parce que je n’étais pas syndicaliste. Ils ont ensuite arrêté les catholiques, et je n’ai rien dit parce que j’étais protestant. Puis un jour, ils sont venus m’arrêter, et ce jour-là, il ne restait plus personne pour protester ».

A l’heure de l’indignation, point de résignation !

Me Raphaël N. Kpande-Adzare




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