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Tribune: la France, le nouvel antiviRusse de l’Afrique

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Emmanuel Macron était en Afrique noire cette semaine et, à la manière d’un Maître coranique, il a fait réciter à ses différents collègues à qui il a rendu visite combien la France était la seule et unique nation qui se préoccupe sincèrement de l’Afrique. L’Afrique, ce majeur sous curatelle dont la France revendique la tutelle. Cette Afrique que les présidents successifs de la France, en toute arrogance, n’hésitent pas à rappeler à l’ordre quand ils estiment qu’elle pose des actes contraires aux valeurs françaises. Ces valeurs qui consistent à faire une chose et son contraire.

Dans tout ça, ce qui est écoeurant c’est de voir des présidents africains étaler leur arrogance vis-à-vis de l’opinion publique nationale car devenus fréquentables pour Paris. J’ai l’impression que peu à peu, les intellectuels africains, au lieu de se concentrer sur l’Afrique et son développement, se laissent embarquer dans un débat remontant à l’époque des blocs de l’est et de l’ouest. Si au moins ils pouvaient se souvenir que face à ces 2 blocs il y avait le courant des non-alignés. C’est une politique de neutralité vis-à-vis des deux blocs antagonistes, occidental ou communiste, observée pendant la Guerre froide par certains États du tiers-monde.

J’ai peur que volontairement une partie de l’élite africaine préfère le confort relatif présent dont il jouit et, par crainte d’un avenir incertain, a opté pour une amnésie sélective. L’Africain a oublié le contexte historique, notamment le fait que la violence, la cruauté, la nécessité de faire passer ses intérêts avant tout était (est) la loi quotidienne dans la relation entre l’Afrique et l’Occident/Orient depuis que l’homme noir a eu le malheur de rencontrer les autres hommes de couleur. De l’esclavage à la colonisation pour aboutir à la mondialisation, aucune mutation ne s’est opérée sans s’assurer que l’Occident avait sécurisé ses intérêts.

Le Bon, la Brute, le Truand

J’ai donc abordé la récente tournée de Macron dans une optique néo-réaliste. Crier à l’ours russe qui menace le troupeau africain sous la surveillance du berger français avec l’aide de ses chiens locaux me rappelle un western américain qui parle de la brute (Russie), du bon (Europe+ USA) et du truand (Asie). En pleine guerre de Sécession, le Bon, la Brute et le Truand se croisent, se chassent, s’arnaquent. Ils sont trois chasseurs de prime, trois mercenaires, avides, chacun menant sa vie à sa manière.

L’un est un truand, Tuco, à la gueule épaisse, bruyant, gueulard, roublard, certainement le plus attachant des trois malgré sa gâchette très facile. Quant au Bon, Blondin, il n’en est pas moins roublard et arnaqueur que les deux autres, mais fait preuve de plus de considération pour ses semblables. Le dernier est un tueur froid, distant, n’hésitant pas à torturer, sorte de serpent en bottes de cow-boy, il est la brute sanguinaire du groupe. Les trois hommes vont se mettre sur la piste du même butin (l’Afrique en l’espèce). C’est bien ce dont il est question dans cette tournée française où Macron vend le rêve d’un monde menacé par la Russie impérialiste en occultant que sous le manteau du monde libre qu’il vend se cache la dure réalité du néocolonialisme critiqué par Nkrumah.

Le néo-colonialisme, dernier stade de l’impérialisme, Kwame Nkrumah permet de révèle les rouages du capitalisme monopolistique international en Afrique et démontre que le néo-colonialisme, insidieux et complexe, est encore plus dangereux que le vieux système colonial. Tous les pays récemment visités par Macron n’échappent pas à la peinture réalisée par Nkrumah. Le néo-colonialisme, considéré par lui comme le principal danger pour les peuples libérés de la domination coloniale car il sert à exercer une influence politique et économique sur le continent noir. Ce que Macron et ses pairs de l’OTAN font précisément en menaçant de sanctionner tous les pays qui ne s’alignent pas derrière eux contre la Russie.

Pour Nkrumah, l’essence du néo-colonialisme est que l’Etat qui le subit reste théoriquement indépendant et possède les apparences extérieures de la souveraineté, mais en fait son système économique et sa politique sont dirigés du dehors. Le peuple n’y est point maître de ses destinées; son sort est réglé selon les convenances d’étrangers agissant dans leur propre intérêt. Le plus souvent c’est par des moyens économiques et financiers que le contrôle néo-colonialiste s’exerce, mais il peut aussi s’appuyer sur des bases militaires ou sur la présence de conseillers militaires, économiques ou politiques. Il représente à ses yeux la pire forme d’impérialisme. Bref Macron et Lavrov sont en tournée impérialiste en Afrique.

A la différence que Macron s’assure de rappeler à ses esclaves qu’il est préférable de traiter avec un voleur (France) qu’on connait que de s’allier à un sorcier (Russie) qu’on ne connait pas. Et, en prime pour motiver les chiens afin qu’ils aboient au passage du troupeau (Russie+ Asie), on murmure l’idée d’une force régionale anti coup d’état pour protéger ceux qui s’accrochent au pouvoir. Une fois de plus ce n’est pas l’intérêt de l’Afrique qui compte mais l’intérêt de la France. Accuser la Russie d’être à la base d’une famine mondiale, c’est se donner bonne conscience car, comme le présentait feu Edem Kodjo, 35 millions d’Africains sont menacés de famine alors que 500 millions d’hectares de terres arables ne sont pas exploitées.

Un continent si riche, si pauvre

L’Afrique possède des ressources suffisantes pour assurer l’avenir de ce continent pour peu que l’on dispose d’une volonté politique. C’est un manque de respect que de croire que c’est à la Russie et l’Ukraine de nourrir l’Afrique. Je fais cadeau des ressources minières disponibles dans le sous sol africain. Cette tournée de Macron était annoncée depuis longtemps par feu Edem Kodjo lorsqu’il s’interrogeait sur le déclin de l’occident. Pour l’ancien Secrétaire général de l’OUA devenue l’UA, face au danger de perdre son pré carré se restructure pour faire face aux problèmes de demain avec les pays qui menacent la prééminence stratégique de l’Occident. Grâce à ses réseaux commerciaux, diplomatiques, culturels, celui-ci contrôle, en grande partie, l’évolution politique et économique de la planète. L’Occident entend surmonter son handicap démographique et neutraliser le bloc soviétique en négociant au besoin avec l’URSS.

Loin de baisser la garde, il continue de lancer au reste du monde un triple défi politique, économique, technologique. Le problème est que dans tout ça l’Afrique continue de balbutier. Toutefois l’Occident ne peut se sauver que si elle arrête sa politique néo colonialiste et condescendante à l’endroit des intérêts des peuples africains. Traiter avec l’Afrique en prenant en compte les intérêts et attentes des peuples. Tendre une main fraternelle aux pays démunis, faire évoluer le Sud au lieu de se l’aliéner. Cette profession de foi de Kodjo comme le dirait un certain panafricain, le tigre  doit passer de la proclamation de la tigritude pour bondir sur sa proie. « Le tigre ne proclame pas sa tigritude, il bondit sur sa proie et la dévore. » Cette pensée du jour. Elle a été prononcée par l’écrivain nigérian et prix Nobel de littérature, Wole Soyinka, au cours d’une conférence d’écrivains à Kampala en 1962. Une invitation à sortir de la dénonciation pour l’action.

Lors d’un entretien avec Jeune Afrique, il s’en explique : « Pourquoi fallait-il gaspiller notre énergie dans de vaines rhétoriques alors que notre continent se débattait dans des problèmes politiques et économiques insurmontables ? La situation nécessitait que l’on agisse avant tout. (…) Ma réflexion sur la question de la négritude a beaucoup évolué à partir du moment où j’ai compris que la libération des Africains francophones passait nécessairement par l’affirmation de l’identité noire. Les Senghor, les Césaire, les Damas étaient les produits typiques de la colonisation française, qui, en voulant faire de l’élite noire des Français à part entière, ont déclenché ce mouvement de rébellion intellectuelle et poétique. On a assisté à un phénomène similaire dans les colonies portugaises où l’assimilation des autochtones était la politique officielle. Les Anglais, pour leur part, s’étaient toujours gardés de s’immiscer dans la vie culturelle de leurs sujets africains tout simplement parce qu’ils les croyaient incapables de s’adapter à la culture britannique, nécessairement supérieure ».

Sortir enfin du “sanglot de l’homme noir”

Tout compte fait, la réaction à afficher à la suite de cette visite de Macron n’est pas d’étaler ses émotions mais de mettre la pression sur nos gouvernants pour mettre fin à cette posture de caniche fidèle au maître dont il exécute les ordres sans réflexion. Le monde est à un tournant et il urge que les Etats africains fassent un diagnostic clair de leur situation et de se donner les moyens stratégiques pour ne plus dépendre exclusivement de l’occident ou de l’orient. Il faut plutôt œuvrer pour une interdépendance à court terme et une indépendance à long terme. Personne ne nous prendra au sérieux tant que nous tolérons des dirigeants corrompus et prédateurs des ressources publiques. Quand vous prenez le secteur de la défense, des montants exorbitants destinés à l’achat d’armes pour sécuriser les pays ont été détournés. Les fonds alloués pour la lutte contre le COVID 19 détournés via des passations de marchés publics truqués. Tout ceci explique le paradoxe africain.

En 1999 le président Obasanio déclarait : « Le Nigeria est un pays béni, dans lequel les richesses naturelles abondent, dont le pétrole et le gaz naturel, ainsi qu’une grande variété de minéraux solides, des terres fertiles, une main d’œuvre bon marché et relativement bien qualifiée, une population nombreuse et dynamique, de vastes débouchés nationaux. Or, malgré ces ressources naturelles, son économie est en chute libre depuis vingt ans. La pauvreté et le chômage sont endémiques. Les services de santé et d’éducation se sont dégradés, tant d’un point de vue quantitatif que qualitatif. Notre économie est fondée presque exclusivement sur la vente du brut. L’agriculture, encore largement fondée sur la monoculture, a enregistré une croissance de 4 % en 1999, mais elle n’entre que pour une part infime dans nos exportations. Quant au secteur industriel, il représente moins de 5 % du PNB. Le Nigeria fait aujourd’hui partie des pays les plus pauvres du monde, avec un revenu par habitant inférieur à 300 dollars par an, contre 1000 en 1980. Toutes les autres statistiques sur notre économie suivent cette même tendance».

Et après ? Vingt ans plus tard où en est le Nigeria ? Une chose est certaine le Nigeria au lieu de se développer doit concentrer ses efforts sur Boko Haram. Bien qu’il n’existe pas une Afrique mais des Afriques avec des trajectoires plurielles contrastées, des réalités géopolitiques, sociales et culturelles différentes, la solution au développement de l’Afrique passe par la prise en compte des thématiques du Centre pour la Gouvernance Démocratique et la Prévention des Crises (CGDPC) qui fait sa part pour l’Afrique depuis le Togo. La bonne gouvernance est la solution aux problèmes du continent africain. Les défis en matière de paix et de sécurité traduisent surtout des problèmes de gouvernance, tels la gestion des élections. Même les problèmes liés au terrorisme, à la gestion de la diversité, au développement ont trait à la gouvernance.

L’Afrique, à l’instar d’autres régions du monde, présente aujourd ’hui une image dynamique mais pleine de contrastes où apparaissent des progrès mais aussi des difficultés. Il suffit de voir les pays anglophones et les pays francophones. Dans chaque zone linguistique il y a des mauvais élèves. Avec une jeunesse qui représentera 60% de la population du continent à l’horizon 2050, le continent peut tirer avantage de ce dividende démographique en investissant dans une éducation de qualité, dans la formation des enseignants, la technologie et l’innovation, ce qui permettrait de stimuler la productivité, de créer des emplois et de promouvoir une croissance sans exclusion et la prospérité pour tous. Ce ne sont pas des sommets France Afrique revisités avec la société civile en substitution aux Chefs d’Etat qui fera de l’Afrique un acteur majeur de la mondialisation. La solution pour l’Afrique reviens à la volonté politique. Le lien entre conflits et fragilité est évident. Pour comprendre les causes et les moteurs des conflits, il faut envisager l’ensemble du cadre institutionnel d’un pays. La fragilité des institutions et des sociétés compte parmi les principaux facteurs de risque de conflit.

Un pauvre sur deux vit dans des pays fragiles ou en conflit. Seules des solutions pour le développement peuvent arrêter le cycle de fragilité et la pauvreté. La crise du COVID-19 a révélé l’extrême fragilité des économies africaines. L’invasion de l’Ukraine par la Russie est venue accentuer.

Pour conclure je dirai que l’Occident n’a jamais fait du développement de l’Afrique une priorité. Les gens du bloc de l’est devenus capitalistes ne le feront pas non plus. Seuls les africains pourront enclencher le processus du développement de l’Afrique. Beaucoup d’analystes s’accordent qu’il faut repenser le développement de l’Afrique par l’Afrique et pour l’Afrique. Cela devient un impératif autant qu’intellectuel que politique pour les pays africains. Loin de réinventer de nouvelles théories, les nouveaux paradigmes de développement devront tirer les leçons de l’histoire et s’adapter à la nature changeante des sociétés africaines. Il faut tisser la nouvelle corde au bout de l’ancienne corde de Kodjo.

Papa Khadidja




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