A quand un « grand roman sud-africain » ? A l’instar d’un Antonio Lobo Antunes (La splendeur du Portugal), d’un Hugo Claus (Le chagrin des Belges), d’un Shashi Taroor (Le grand roman indien), un auteur sud-africain brossera un jour une fresque historique englobant toutes les composantes d’un pays morcelé. John Coetzee, à qui l’on doit le plus puissant des romans postapartheid (Disgrâce), estime que la maturation prendra plusieurs générations, tellement les communautés d’Afrique du Sud demeurent éloignées les unes des autres.
Natif de Soweto, Niq Mhlongo a éveillé la curiosité à la sortie de son premier roman en 2004. Dog Eat Dog, expression qui équivaut à notre « loi de la jungle », raconte la vie dissolue d’un étudiant noir au cours de l’année charnière 1994, date des premières élections démocratiques. Menacé de perdre sa bourse universitaire, il s’emporte face à l’employée blanche qui gère son dossier. Il passe beaucoup de temps à boire et à gloser. En un mot, il a du mal à passer à l’âge adulte. Allégorie pour la nouvelle Afrique du Sud qui émerge ?
Son second roman, After tears, a conservé son titre dans sa version française, chez Yago. Le mensonge en est le thème. Bafana, incapable de passer ses examens de droit au Cap, est obligé de retourner à Soweto, où chacun le croit avocat. Il prétexte un problème administratif pour éviter d’exhiber son diplôme. Il joue la comédie et s’enfonce dans un engrenage malsain.
Avec son troisième roman*, Mhlongo, né en 1973, prend du recul historique. Il va chercher dans les épisodes maudits de la lutte armée des explications au manque de générosité des dirigeants sud-africaines actuels.
Ancien guérillero impitoyable, Kimathi Tito s’est lancé à Johannesburg dans l’immobilier. Il sait comment décrocher des marchés publics. Séparé de son épouse, il mène grand train. Sa carrière commence à s’écorner quand il se fait surprendre dans sa voiture en compagnie d’une prostituée.
Un soir suivant, il ramène à Soweto une étrange jeune femme, nommée Senami, à la fois familière et lointaine. Il cherche à la revoir, retourne chez elle et ne trouve qu’un vieux couple. Il se rend compte qu’il s’agissait d’une revenante, une combattante décédée jadis en Angola.
Accompagné des parents de Senami et d’un guérisseur, Tito décide de partir pour l’Angola afin de donner une sépulture digne à la jeune fille. Mais il perd tout contrôle : il abat deux policiers et l’un de ses partenaires en affaires.
Les voyageurs parviennent à retrouver l’emplacement du camp de l’ANC dans la brousse angolaise. Le mémoire revient à Tito. Il comprend qui a torturé Senami et en tire les conséquences.
Mhlongo s’en prend aux plus rapaces des Black diamonds, plus précisément aux tenderpreneurs ces hommes d’affaires noirs qui misent sur leurs connivences avec le pouvoir pour obtenir des marchés publics. Il mène son récit tambour battant, le pimente de flash-backs, de clichés, de dialogues ironiques, de rituels traditionnels. Avec le personnage évanescent de Senami, il introduit une touche onirique dans un paysage au réalisme impitoyable.
Niq Mhlongo aura-t-il le souffle pour écrire le grand roman sud-africain ? Sa publication suivante n’en prenait pas le chemin : en 2016, il réunissait une série de nouvelles sous le titre Affluenza. Ce néologisme américain décrit le sentiment d’insatisfaction dans une société consumériste animée par la compétition sans frein. Vitupérer les maux de l’Afrique du Sud est un fonds de commerce solide. « C’est le moment idéal pour être un écrivain noir », estime-t-il.
Source:rfi.fr