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L’éditorialiste Karfa Diallo invite Macron à réhabiliter les 192 tirailleurs naufragés de l’Afrique

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C’est la plus grande catastrophe maritime que la France ait jamais connue. Eh oui, le 12 janvier 1920, sombrait ce paquebot, avec 602 passagers, dont 192 tirailleurs sénégalais effacés de la mémoire collective. Ils sont communément appelés les « morts oubliés de l’Afrique ». Car à peine figurent-ils sur un monument aux morts au fond du cimetière de la commune vendéenne. Mêmes les États africains ne semblent d’ailleurs pas plus concernés : à part un timbre, émis en 1990 par la Côte d’Ivoire, rappelant la tragédie.

A l’occasion de la venue d’Emmanuel Macron au Sénégal, l’essayiste Karfa Diallo a dans une lettre ouverte, invité le président français à honorer la mémoire des tirailleurs, qui ont prêté main forte à l’armée française.

Lire l’intégralité de la lettre

Excellence Monsieur le président de la République,

Vous arrivez dans un pays avec lequel la France a des liens anciens et actuels. Pour le meilleur et pour le pire. Le meilleur, ce sont ces diasporas françaises et sénégalaises, qui œuvrent au quotidien pour faire reculer la misère, la maladie et la mort. Ces milliers de personnes qui soignent, forment, créent et développent nos deux pays.

Le pire est la néo-colonisation. Ces milliers d’entreprises qui pillent, volent et vident nos pays de leur subsistance. Le pire, c’est l’oubli du sacrifice auquel les filles et les fils du Sénégal ont été contraints. Le pire, c’est le mépris.

Monsieur le président de la République,

Vous arrivez dans un pays où 192 tirailleurs sénégalais attendent toujours l’honneur dû aux morts. En effet, des Sables-d’Olonne à Bordeaux, en passant par La Rochelle et Noirmoutier, les visiteurs venant par la mer en France métropolitaine longent des côtes, témoins horrifiés de la plus grande catastrophe maritime française : le naufrage du paquebot L’Afrique, le 12 janvier 1920.

Ces plages de l’Atlantique, en Vendée, sur l’Île de Ré et l’Île d’Yeu sont les tombeaux fatals et inconsolables des corps des naufragés de ce paquebot exploité par les Chargeurs Réunis. Quatre-vingt-dix-huit ans après, jour pour jour, une exposition de la région Nouvelle-Aquitaine les évoquait encore jusqu’au 30 janvier 2018.

En comparaison, le naufrage conté par Géricault sur son Radeau de la Méduse pourrait paraître bien pâle s’il n’y avait ces fils ténus de l’espoir. Quand Géricault représente un homme noir au sommet du triangle de son radeau naufragé, recueilli et soigné à Saint-Louis du Sénégal en 1816, il dessine l’espoir possible de l’émancipation d’un peuple déjà bien violenté par l’histoire. Mais ceci est un faux espoir…

192 soldats indigènes disparus en mer

Les 192 tirailleurs auxquels cette supplique est dédiée ont pourtant cru, eux, à cet espoir : colonisés et ostracisés sur leur propre terre, mais requis ou volontaires pour faire la guerre si loin de chez eux. Miraculés des meurtrières tranchées de Verdun, ce sont de jeunes hommes de 20 à 25 ans qui montent, ce 9 janvier 1920, sur les quais des Chartrons, à Bordeaux, à bord du paquebot Afrique. Indifférents à l’entrepont nauséabond où ils sont entassés, hébétés d’en être revenus, impatients de retrouver leurs foyers et de demander des comptes en matière de justice, d’égalité et d’indépendance.

Monsieur le président de la République, la tragédie que raconte cette lettre ouverte, la plus grande catastrophe maritime française, est l’illustration la plus nette des ravages de la mémoire lorsqu’elle se clôt sur elle-même.

À propos de cette catastrophe, on parlera surtout – quoique de façon très confidentielle – des 400 autres passagers : équipage, administration coloniale, missionnaires, employés, familles françaises, femmes et enfants partis rejoindre mari et père dans ces territoires d’outre-mer exploités par la métropole.

Plusieurs raisons à cela. L’ombre d’une Grande Guerre où les morts se chiffrent en millions. L’élection présidentielle française de 1920, qui verra la défaite de Clemenceau. Et surtout cette encombrante présence de tirailleurs sénégalais à la nationalité incertaine, et dont le sort laissait indifférent.

Des controverses judiciaires, techniques et politiques surviendront par la suite, sans qu’on ait accordé aux 192 soldats indigènes disparus en mer dans l’exercice de leur devoir l’attention, l’hommage et la reconnaissance qu’ils méritaient. Morts pour la France, ignorés de tous, ces tirailleurs gisent toujours au fond de l’océan.

« Le pari d’une mémoire consciente mais réconciliée »

Comment, Monsieur le président de la République, raconter ces vies alors que, pour la plupart d’entre eux, on ne dispose que d’une date et d’un lieu de naissance, du nom de leurs parents, d’une profession – presque tous sont cultivateurs – et de quelques détails physiques ? Comment faire le deuil, sans sépultures ?

Ce plaidoyer, Monsieur Emmanuel Macron, fait le pari d’une mémoire consciente mais réconciliée. Comme vous l’indiquiez encore récemment, « il faut qu’il y ait une réconciliation des mémoires… C’est-à-dire que dans la mémoire française, dans l’histoire de la France, comme dans l’histoire de l’Afrique, on doit parler de ces pages noires comme des pages glorieuses ».

L’occasion vous est donnée de concilier les deux. Les ombres et les lumières d’une France qui n’a pas à rougir de son histoire mais qui n’a pas, non plus, à lui tourner le dos, ni à laisser au fond de l’océan ceux qui ont versé leur sang pour la République.

Excellence, Monsieur le président de la République, vous allez à la rencontre d’un président sénégalais qui ne saurait être exempté de sa propre responsabilité : celle qui consiste à honorer les enfants de son pays. Nous espérons que lui aussi saura honorer et inscrire cette mémoire dans le récit national sénégalais et africain.

Depuis le 25 janvier 2016, cette requête se veut la contribution au futur mémorial dédié à ces naufragés, afin de dire leur martyre, leur trop longue agonie et faire justice de leur contribution au monde nouveau dont nous héritons.

Que cet acte de mémoire et de réparation participe à la construction d’un récit national inclusif et partagé. Puisse l’aube nouvelle dessinée par Géricault être une aube de vérité et de justice. Pour tous.




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