L’ancien premier ministre ivoirien et candidat à la présidentielle du 31 octobre en Côte d’Ivoire a appelé le président français, Emmanuel Macron à se prononcer sur la candidature du président Alassane Ouattara.
En effet, le silence du patron de l’Elysée face au désir de l’actuel président ivoirien de briguer un troisième mandat laisse place à plusieurs interprétations. Par conséquent, le locataire de l’Elysée, qui avait salué la décision historique d’ADO de passer la relève est appelé à se prononcer sur le choix de Ouattara de revenir sur sa parole. Lisez plutôt !
Monsieur le président de la République française,
Vous recevrez ce jeudi Alassane Ouattara au Palais de l’Elysée. Il est encore le chef de l’Etat de la République de Côte d’Ivoire, mais il n’est déjà plus exclusivement cela. Depuis le 29 juillet, il est surtout candidat déclaré à sa propre succession. Jeudi, vous recevrez le candidat … Candidat et en réalité inéligible !
Cette candidature intervient en effet en violation de la loi fondamentale de la IIIe République, dont il est le garant. Elle contredit également son engagement de ne pas concourir pour un troisième mandat, exprimé solennellement devant la représentation nationale réunie en congrès le 5 mars dernier à Yamoussoukro. A l’époque, vous aviez chaudement salué « cette décision historique d’un homme de parole et d’honneur ». A l’époque, vous vous réjouissiez de voir la Côte d’Ivoire « donner l’exemple ».
Cinq mois plus tard, le masque de la respectabilité est tombé et l’imposture démocratique se dévoile à la face du monde. Le régime montre son vrai visage d’autoritarisme et d’exclusion. L’exclusion frappe des Ivoiriens illustres privés de passeport, radiés de la liste électorale, à l’image de Laurent Gbagbo, Charles Blé Goudé, pourtant acquittés par la justice internationale, mais aussi de Guillaume Soro. Des premières violences ont éclaté, images de deuil et de désolation. Les manifestations pacifiques sont réprimées dans le sang. La tribalisation des cœurs et des esprits, patiemment insufflée depuis neuf ans sous couvert de rattrapage, se traduit par des combats à l’arme blanche entre jeunes gens issus d’ethnies différentes, tous enfants de la même Côte d’Ivoire.
Pourtant, ce jeudi, Alassane Ouattara vient vous demander sinon votre soutien à sa forfaiture, du moins une bienveillante neutralité. Il est en réalité porteur d’un seul message : lui seul serait le garant d’une certaine forme de stabilité de la Côte d’Ivoire dans une sous-région profondément ébranlée par le terrorisme.
Cette argumentation ne résiste pas à l’analyse. Elle ne résiste pas à l’analyse parce que le président sortant n’envisage pas de perdre. Or, chacun pressent qu’une victoire entachée d’irrégularités se traduirait par une crise post-électorale aux conséquences terriblement meurtrières. Au-delà de la Côte d’Ivoire une nouvelle fois blessée, les répercussions s’étendraient à toute la sous-région.
Elle ne résiste pas à l’analyse parce que la stabilité se nourrit de réconciliation, d’inclusion et de développement. La stabilité implique une unité nationale qui se construit dans une dynamique d’apaisement. Source de conflits, cette candidature représente tout l’inverse : l’attisement des contradictions, l’exacerbation des rancœurs et la menace de nouveaux affrontements entre les enfants de Côte d’Ivoire.
Monsieur le Président, votre silence est, vous ne l’ignorez pas, diversement interprété dans mon pays. Il est commenté en raison de mots laudateurs que vous aviez prononcés. Il est analysé car il autorise toutes les supputations : celle de l’indifférence, du laisser-faire, de l’embarras et finalement de l’impuissance de la communauté internationale.
Votre parole est, a contrario, très attendue. En ne cautionnant pas ce coup de force institutionnel, en exigeant des élections transparentes et inclusives, vous serez fidèle aux valeurs démocratiques issues des Lumières dont la France est porteuse. Vous afficherez aussi la volonté forte de donner un nouveau souffle à cette relation si particulière entre nos deux Etats. Soixante ans après notre indépendance, le refus de ce coup d’Etat institutionnel serait le marqueur puissant, à la fois d’une rupture et d’un nouveau départ. Votre silence est interprété, votre parole peut être décisive.Pascal Affi N’Guessan
Ancien Premier Ministre
Candidat du FPI à l’élection présidentielle