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Rencontre avec Me Janvier Alfred Ngalle Mbock, le premier avocat aveugle du Cameroun   

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Le 2 avril 2018, les résultats de l’examen de fin de stage d’avocat session de l’an 2018 organisé au Cameroun ont été publiés. Parmi les 474 élus, figurait Janvier Alfred Ngalle Mbock, aveugle depuis l’âge de 3 ans. Me Ngalle Mbock devient le premier avocat non voyant à intégrer le Barreau du Cameroun. Le juriste de 36 ans récolte ainsi les fruits de sa détermination et sa passion pour ce métier qu’il a découvert en 2012. Le Cameroun tout entier salue la capacité de cet homme à repousser les limites que lui a imposées le sort. Lui proclame qu’il n’a jamais voulu constituer une charge pour qui que ce soit.  Africatopsuccess.com s’est entretenu avec ce lion indomptable déjà impatient de prêter serment.

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Comment avez-vous accueilli la nouvelle de votre admission au dernier examen du  Barreau?

Je l’ai accueillie avec beaucoup de satisfaction. Je dois vous dire que les choses n’ont pas été faciles pour moi. Car vivre dans une société où le handicap n’est pas tellement pris en compte, où la personne handicapée, il faut dire la vérité,  ne jouit pas pleinement de ses droits n’est pas chose facile. Arriver dans une profession comme celle-là où on n’a jamais eu un tel cas n’a pas  été  chose facile non plus. Lorsque les résultats sont tombés le 2 avril 2017, j’étais très content. Cela a été pour moi un grand soulagement. J’ai vu tous mes efforts récompensés. Si le résultat avait été autre je ne sais pas ce que j’aurais fait. Cela a été un soulagement pour moi.

Qu’est-ce qui vous aura permis de triompher des épreuves de cet examen ?

Il faut dire que depuis mon enfance je me suis toujours battu. Je n’ai jamais pensé un seul instant que je vais être à la charge des autres. D’ailleurs je pense  toujours que je vais servir, aider beaucoup de personnes. J’essaie de me battre depuis mon enfance pour être intégré dans la société, pour être considéré comme une personne à part entière.  J’ai d’abord intégré le cabinet Longa en 2012. J’y ai passé 10 mois avant de rejoindre le cabinet de Me Alice Nkom, celle qui m’a parrainé. J’ai fait 2 ans là-bas.  En 2014 l’examen d’admission en stage est lancé. Je suis reçu et comme je n’avais pas de cabinet où passer ma période de stage, le bâtonnier est intervenu pour me faire intégrer le cabinet de Me Joseph Claude Billigha où je suis encore aujourd’hui.  J’ai effectué mes trois années de stage avec beaucoup de peines et difficultés. Il y a aussi eu des réussites, des succès. Je parlerai des procès que j’ai gagnés. C’est l’abnégation, la volonté de réussir qui m’ont amené à obtenir ces résultats. Je ne me suis jamais dit : « voilà, je suis handicapé, je ne peux pas  ». J’ai  toujours cru en moi.

Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser au métier d’avocat ?     

C’est le chômage. J’obtiens ma maîtrise de droit en 2007. Je me lance  dans des affaires qui ne marchent pas. Je ne peux plus rester à la maison. Il faut bien que je m’occupe. C’est comme cela que je me rapproche d’un avocat qui est mon voisin, Me Longa qui m’accepte de bon gré. C’est en travaillant avec lui que j’ai vraiment pris goût pour ce métier. J’aurais bien pu décider de faire d’autres choses en parallèle, mais mes débuts dans le métier d’avocat m’ont tellement plu que je n’ai plus voulu faire autre chose. Et puis j’ai fait des études de droit et il n’était pas question que je fasse autre chose. J’ai estimé qu’étant avocat, je peux défendre les personnes vulnérables.   Pendant ma période de stage j’ai gagné toutes les affaires que j’avais. J’ai toujours eu la chance d’avoir des dossiers où le juge a toujours donné raison aux clients que j’ai défendus. Je ne pense pas que ma seule présence explique tout.

Vous êtes non voyant et avocat. Qu’est-ce qui vous a posé problème pendant l’apprentissage et dans  l’exercice de la profession ?  

Beaucoup de choses. D’ailleurs ceux qui me forment sont souvent dépassés. Quand je suis arrivé dans ce cabinet, mon parrain, malgré toute la volonté qu’il avait, éprouvait des difficultés pour me former. A un moment donné, on a même estimé que je ne pouvais pas faire certaines choses comme aller assister aux audiences. Alors que moi je pensais que je pouvais le faire. Si je peux voyager de Douala à Yaoundé sans toutefois demander l’assistance de quelqu’un, c’est que je peux aller aux audiences. Encore que tous les matins je  pars de chez moi pour arriver ici au bureau et je repars tout seul. Pour en revenir aux problèmes que je rencontre, je dirais que  lorsque l’on me confie un dossier, je ne peux pas le lire faute de matériel adapté. Il existe mais coûte très cher. Au cours d’un débat lors d’une audience, la partie adverse peut produire une pièce.  Il faut alors que je sois assisté par un autre confrère qui va examiner ladite pièce afin que je soulève si nécessaire des objections.

Pensez-vous que votre réussite soit un message à l’endroit des personnes défavorisées comme vous par la nature ?

J’ai évoqué des difficultés, mais je dois dire qu’il y a aussi beaucoup de domaines dans lesquels je peux travailler sans trop de peine. Pour autant sachez que je peux très bien exercer le métier d’avocat. On peut faire beaucoup de choses même si on est handicapé. Etre handicapé n’est pas la fin de la vie. Tout dépend d’abord de la volonté qu’on a soi même, de la foi. Parce que quand on veut faire quelque chose il faut croire qu’on va y arriver. Il faut y mettre les moyens intellectuels, le temps. Mon message va tout droit aux personnes  handicapées comme moi. Et même aux parents des enfants handicapés qui refusent d’envoyer leurs enfants à l’école parce qu’ils se disent peut-être que c’est une perte de temps. Ou encore peut-être parce que l’on préfère privilégier les personnes valides.  Je pense qu’il faut donner à la personne handicapée les mêmes chances.

Revisitons votre parcours jusqu’à l’université.  Comment avez-vous cheminé ?

Je suis né le 23 mars 1982 à Badjouck dans le département du Nyong-et-Kellé (Centre du Cameroun). J’ai perdu la vue à l’âge de 3 ans dans un accident de la circulation. J’ai  commencé l’école à 8 ans. J’ai début  par le Bulu Blind Center de Buea (Sud-Ouest du Cameroun) où j’ai passé 7 ans. Là-bas j’étudiais en anglais. J’ai obtenu le diplôme de fin d’études primaires en 1997. Je suis ensuite allé effectuer une partie de mes études secondaires à Eseka (Centre du Cameroun). J’ai ensuite rallié Douala (ville côtière) où j’ai pris une inscription au lycée de Ndog Hem. C’est là-bas que j’ai fait les classes de  première et  Terminale Après avoir été reçu au baccalauréat, j’intègre l’université de Douala.

Vous n’avez pas effectué vos études secondaires et universitaires  dans des établissements spécialisés. Comment vous y preniez-vous ?

Il fallait d’abord utiliser tous les arguments pour convaincre les chefs d’établissements de ce que j’étais  capable de suivre les cours. Cela n’a pas été  facile. Quand il a fallu que je m’inscrive en 6ème, je suis allé voir le responsable de l’établissement que j’avais sollicité. Il était stupéfait. Il m’a même demandé  qui allait me conduire à l’école. Pendant les cours, je prenais les notes en braille au même moment que mes autres camarades. Je lisais ensuite mes cours à la maison pour préparer les éventuelles interrogations. Pendant les devoirs surveillés, j’utilisais la machine à écrire mécanique, le genre que les secrétaires dactylographes utilisaient auparavant. J’installais ma feuille blanche de format A4, j’y joignais un ruban neuf et je tapais mon devoir. Puis je remettais ma copie pour correction comme tout le monde.  Au secondaire j’éprouvais des difficultés lors des cours de mathématiques. Avec la géométrie, je ne pouvais pas dessiner en Braille. Heureusement, j’étais dispensé de cet exercice-là. Mon évaluation se faisait sous la forme de questions. J’avais aussi des difficultés quand les professeurs écrivaient au tableau les noms des auteurs de certains textes ou lors des cours de langue comme l’allemand où tout était écrit au tableau. Je devais me rapprocher d’un camarade pour tout avoir. Si le  professeur  était compréhensif il nous faisait prendre des notes.   Idem à l’université. Je n’ai appris l’informatique qu’après voir obtenu la maîtrise.

Si l’on vous demandait de vous adresser à ceux qui comme vous ont perdu la vue, quel serait votre message à leur endroit ?

Je leur dirais que je ne voudrais pas qu’ils croient que  quand on est handicapé, on n’a plus sa place dans la société. Il faut relever le défi. Je vous dis déjà que ce n’est pas facile ! Nous avons  d’abord des difficultés au sein de nos familles qui ont du mal à nous accepter. Nous en avons aussi à l’école où certains doutent de nos capacités. C’est le handicapé qui doit montrer qu’il a la volonté. C’est en voyant sa détermination qu’on  va finir  par lui donner raison, lui donner la possibilité de s’exprimer. D’autre part, je dois rappeler que comme le disent les textes nous avons des droits qui régissent la personne handicapée.  Ils figurent dans les conventions internationales. Sur le terrain nos droits ne sont pas toujours respectés, mais nous pouvons amener l’Etat à le faire si nous en revendiquons l’application. Il faut d’abord montrer ce que l’on a soi même fait avant de solliciter l’aide de l’Etat.

Propos recueillis par Pierre Arnaud Ntchapda       

 

 




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