C’est une enquête qui épingle sérieusement le dirigeant rwandais. Un rapport du Financial Time, après investigation, conclut que Paul Kagame a truqué les résultats sur la pauvreté du Rwanda, en amont du référendum de 2015. Cela offre la possibilité à l’actuel président de rester au pouvoir jusqu’en 2034, s’il remporte les prochaines élections. A en croire le rapport, l’économie du Rwanda n’est pas aussi florissante comme les autorités le clament si fort.
Selon un rapport intitulé « Integrated Household Living Conditions Survey » (EICV4), publié en octobre 2015, la pauvreté est en net recul, informe France 24.
Sauf que plusieurs sources, qui préfèrent garder l’anonymat pour des questions de sécurité, affirment auprès de la chaîne que ces données sont fausses.
Les détails avec France 24, dans l’encadré ci-dessous:
À l’origine de ce rapport, l’institut privé britannique Oxford Policy Management (OPM) a pour habitude de communiquer des chiffres sur la situation économique aux autorités rwandaises, qui ont ensuite la main pour les publier. « Cette fois-ci, il y a eu un désaccord sur la méthodologie utilisée entre l’institut et les autorités », explique un expert à France 24.
« Le taux de pauvreté a augmenté de 6 % »
Le gouvernement aurait changé les modes de calcul, notamment celui concernant le seuil de pauvreté. « Les paniers de consommation des Rwandais les plus démunis ont été modifiés », confirme une autre source auprès de France 24. « Ils ont réduit massivement, de plus de 70 %, les quantités de trois ingrédients de base : la patate douce, la pomme de terre irlandaise et la banane », poursuit-elle. Résultat : la version finale du rapport indique que le taux de pauvreté a diminué « de plusieurs pour cents alors qu’en réalité, il a augmenté de 6 % « , dénonce l’universitaire belge, l’un des meilleurs experts sur le pays, Filip Reyntjens.
Pour justifier ce nouveau mode de calcul, les autorités rwandaises ont expliqué dans le rapport qu’une « mise à jour » s’imposait. Sauf que ces nouvelles données sont comparées avec celles des rapports précédents, qui reposaient sur l’ancienne méthodologie. « Ce n’est pas correct, souligne la source. On ne peut pas se fier au nouveau seuil de pauvreté annoncé. »Une question qui dérange
Rien ne justifie ce nouveau calcul, estime pour sa part Filip Reyntjens. « Il n’y a pas eu de changement majeur dans la structure de la consommation de ménages. Ils n’ont pas seulement mis à jour la ligne de pauvreté, comme ils le prétendent. Ils l’ont baissée artificiellement pour donner l’impression d’une baisse du taux de pauvreté », affirme-t-il.
Cela pourrait expliquer pourquoi la version finale du rapport ne fait aucune mention de l’OPM, qui figurait pourtant en tant qu’auteur dans les précédentes études. Ses membres auraient refusé d’être cités, à la suite des changements effectués par Kigali. Interrogé par France 24, la direction de l’OPM confirme avoir collaboré sur ce rapport, sans pour autant s’étendre. « Notre contrat comporte une clause de confidentialité qui nous empêche de donner des informations sur le travail que nous avons fait pour les autorités rwandaises », a déclaré le directeur Simon Hunt.Également sollicité par France 24, le National Institute of Statistics of Rwanda, qui figure dans le rapport final en tant qu’auteur, n’a pas souhaité répondre à nos questions. « Le directeur est parti en vacances pour plusieurs semaines », indique-t-on.
Le Rwanda, dont l’objectif de développement est ancré dans une stratégie intitulée « Vision 2020 », entend devenir un pays à revenu intermédiaire d’ici cinq ans. Pour cela, Kigali doit notamment ramener le taux de pauvreté sous la barre des 30 % et réduire le taux d’extrême pauvreté à moins de 9 %. D’où l’importance de ce rapport EICV4. La diminution de la pauvreté est le principal argument des pro-Kagame lorsqu’ils demandent à l’actuel chef de l’État de se représenter. Chose dorénavant possible depuis que les députés rwandais ont voté à l’unanimité, jeudi 29 octobre, en faveur d’une réforme constitutionnelle annulant la limitation des mandats présidentiels.
Londres ferme les yeux
Alors que le Royaume-Uni figure parmi les plus importants bailleurs de fonds du Rwanda, qui a rejoint le Commonwealth en 2009, le département britannique pour le développement (DFID) au Rwanda a estimé « que la méthodologie utilisée pour estimer les niveaux de pauvreté dans le rapport EICV4 était justifiée ». Londres est régulièrement accusé d’être trop laxiste avec le régime de Paul Kagame, qui dirige « de facto » le pays depuis plus de 20 ans.Pourquoi un tel silence des Occidentaux ? « Il y a des intérêts stratégiques, explique un spécialiste du dossier, qui préfère rester anonyme. Avant d’ajouter : « Si le Rwanda affiche de bons indicateurs en matière de développement, cela montre l’efficacité de l’aide du Royaume-Uni ».
France 24
Pour Filip Reyntjens « le dossier EICV4 est sérieux car le Rwanda se targue d’être fort dans le domaine du développement. La communauté internationale accepte un compromis entre développement et répression. Mais si ce développement n’est pas basé sur des faits réels, comme cela semble être le cas ici, alors il ne reste plus que la répression ».
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