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L’exil ou la confrontation : 2020, une année décisive pour Atchadam, Soro et Ajavon

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Trois hommes, trois pays, trois destins, mais un point commun, une situation d’exilé politique à la veille d’élections dans leurs pays respectifs. Guillaume Soro en Côte d’Ivoire, Sebastien Ajavon au Bénin et Tikpi Atchadam au Togo ont tous les trois été marqués par les régimes de leur pays comme ennemi public numéro 1. Des affaires judiciaires leur ont été imputérs de telle manière qu’ils ont préféré se tenir éloignés de leur pays afin d’assurer leur sécurité. Cependant, l’année 2020 sera celle du choix pour ces hommes qui ont des ambitions pour leur pays et ne peuvent rester éternellement en dehors de celui ci. Vont-ils s’incliner et rester à l’étranger? Vont-ils avoir les moyens de rentrer pour dérouler leur plan politique?

Guillaume Soro, le baiser mortel du père au fils ?

L’ex-rebelle puis ancien Premier Ministre et President de l’Assemblée Nationale Guillaume Soro est sous le coup d’un mandat d’arrêt international depuis le 23 Décembre 2019 date à laquelle il a voulu rentrer en Cote d’ivoire afin de préparer sa candidature aux élections présidentielles d’octobre 2020. Pèsent contre lui des accusations de détournements de fonds publics et surtout une accusation de tentative de déstabilisation et de coup d’Etat. Si certains ont été surpris par le timing et que beaucoup d’ivoiriens spéculent sur le jeu politique que pourraient cacher ces accusations, il n’est pas surprenant de retrouver Guillaume Soro dans une telle situation. Guillaume Soro doit son avancée politique à la lutte armée en 2002 avec la rébellion comme en 2010 quand son camp a délogé Laurent Gbagbo du palais Présidentiel. La transition de chef rebelle à celle d’homme politique est toujours délicate, et Soro a toujours été vu comme une menace par son « père » Alassane Ouattara qui ne connait que trop bien son pouvoir de nuisance. Par conséquent il était clair qu’une des nombreuses boules puantes issues de son passé viendraient déstabiliser ses ambitions présidentielles. Guillaume Soro a été un outil utile pour atteindre certains objectifs en Cote d’Ivoire, ceux qui l’ont soutenu dans la tâche n’ont jamais voulu qu’un jour il puisse être plus qu’un outil.

Et pourtant Guillaume Soro semble déterminé à embrasser son destin et pour cela va devoir se rendre en Cote d’Ivoire. Va t-il se confronter à ce qu’il l’y attend? Trois options sont possibles: la première est une négociation diplomatique permettant à Soro de mener campagne, une option qui n’est plus d’actualité pour le pouvoir qui n’y a rien à gagner et la réaction de Guillaume Soro prouve que les moyens d’une négociation sont épuisés. La seconde option serait de forcer un retour au risque d’être arrêté sachant que tant qu’il n’est pas condamné, rien ne l’empêche d’être candidat. Cette option le forcerait à mener campagne en prison ou en tant que fugitif, ce qui pourrait créer des troubles que le pouvoir pourrait être tenté d’éviter afin de ne pas entacher le scrutin à venir. La dernière option pour Soro serait le renoncement et le soutien au Président Henri Konan Bedie. Cette option pourrait être celle qu’espère le pouvoir en place car une candidature de Bedie est l’argument du President Ouattara pour briguer un troisième mandat sachant que battre Bedie sera plus aisé dans ce qui pourrait se résumer en un face à face . En effet, les ressortissants du Nord de la Cote d’Ivoire feront front derrière Ouattara contre Bedie, le parrain de l’Ivoirité tandis que les partisans de Laurent Gbagbo en rang dispersé et orphelin de leur leader retenu à la CPI ne pourront peser dans les débats. Imposer à l’opinion une victoire par K.O d’Alassane Ouattara sera plus aisé dans ces conditions, le pouvoir cherchant à éviter un second tour périlleux.

Guillaume Soro va t-il faire le jeu du pouvoir en place ou va t-il trouver les ressources pour créer une situation inédite en Cote d’Ivoire? L’avenir nous le dira. Mais pour le moment, l’avantage est clairement en faveur du camp Ouattara, le père ayant « tué » le fils.

Sebastien Ajavon, « le silence qui tue »

Le cas de Sebastien Ajavon est particulier. Il a été mis en cause trois fois auprès de trois juridictions pour la même affaire. Il a gagné deux procès sur trois et pourtant se retrouve en exil, condamné à 20 ans de prison par la seule Cour qui lui a été défavorable. Cette Cour, Criet ou Cour de Répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet) a été désavouée par la Cour Africaine des Droits et des Peuples . La haute juridiction africaine a instruit le Bénin de réhabiliter Ajavon dans ses droits et de le dédommager sans que le Régime en place ne se soit exécuté. Dans une telle configuration, Sebastien Ajavon ne peut faire autrement que de s’impliquer politiquement au Bénin, que ce soit pour rentrer chez lui ou préparer sa propre candidature à la Présidentielle de 2021 . Et pourtant, l’homme de Djeffa, isolé de l’ensemble de la classe politique, brille par son silence depuis son exil parisien.

Deux obstacles s’opposent tout de même à son ambition. Le premier est sa condamnation par la Criet même si légalement, il n’en est pas un car la Cour africaine a désavoué cette condamnation. Le second obstacle est par contre plus délicat. Il s’agit des lois électorales votées qui obligent un candidat à être présent sur le territoire un an avant le scrutin et surtout qui lui impose de disposer d’un certain nombre d’élus le parrainant. Imaginer un scénario ou Ajavon prend le risque de rentrer au Benin mettant au défi les autorités de l’arrêter au risque de créer une tension grave puis ensuite imaginer que 10 députés décident de le parrainer est peu probable mais pas impossible. Sebastien Ajavon a t-il abandonné ou prépare t-il un coup majeur? Nous le saurons vite car peu importe le scénario, le temps joue contre lui.

L’insaisissable Tikpi Atchadam

Tikpi Atchadam est un ovni dans l’histoire politique africaine. Jamais nous n’avons vu un homme quasiment inconnu réussir à mobiliser autant de personnes et déstabiliser un pouvoir cinquantenaire aussi fort que celui de la famille Gnassingbe. Si d’autres opposants ont au cours de l’histoire togolaise réussit à réunir du monde à Lomé, personne n’a pu nationaliser la lutte comme le leader du PNP. La conviction et la dévotion qu’il arrive à susciter auprès de ses partisans a contaminé l’ensemble du pays au point de menacer le Régime au Nord qui lui est pourtant acquit depuis un demi siècle. Sokode, le fief du leader politique est une zone à haute tension pour les forces de l’ordre qui y multiplient les opérations de répression depuis plus de deux ans. Les Tems, l’ethnie dominante de la zone sont un peuple qu’on ne peut dompter et chaque appel de leur leader sera suivi.

Et pourtant, Tikpi Atchadam est porté disparu depuis plus de deux ans. Selon plusieurs voix, il serait exilé au Ghana mais personne n’en a confirmation. Le leader du Pnp a vite pris du recul en constatant l’échec de son union avec les autres partis d’opposition. Tandis que Jean Pierre Fabre, opposant historique et en échec permanent a déjà annoncé sa candidature à une élection dont il ne connait pourtant pas les tenants, Tikpi Atchadam dans une déclaration datant de décembre 2019 a lui indiqué qu’il ne peut y avoir d’élections crédibles si Faure est candidat.

Dans un tel contexte, quelles options s’ouvrent à Tikpi Atchadam? Contrairement à Soro ou Ajavon, Atchadam ne s’est jamais présenté en candidat à la Présidence de son pays. La seule priorité selon lui est de mettre fin au Régime Rpt/Unir des Gnassingbe. Et pour arriver à ce résultat, la mobilisation populaire est l’option qui a montré les meilleurs résultats. Cependant, après 03 ans de répression par le pouvoir, le peuple a besoin d’un nouvel élan et il lui faut pour cela voir Tikpi Atchadam qui est conscient qu’il doit se mettre en scène pour galvaniser les troupes. Le reste de l’opposition n’est pas fiable et s’il ne prend pas le risque de sortir de sa cachette pour porter le mouvement, Faure Gnassigbe sera réélu sans mal pour un quatrième mandat. Si la mission du PNP est l’alternance au Togo, la lutte devra se faire à visage découvert face à un adversaire redoutable et rompu aux joutes politiques.

En somme, 2019 aura démontré au Togo au Benin ou en Cote d’Ivoire que ceux qui détiennent le pouvoir ont raison même quand ils ont tord. Le pouvoir est dans les mains des dirigeants qui contrôlent l’appareil de répression juridique et policier. Pour que 2020 soit l’année où le pouvoir redeviendrait l’émanation de la volonté du peuple, il faudrait que certains leaders prennent leur destin en main et osent bousculer l’ordre établi. Sans cela, les situations resteront figées et les exilés seront les plus chanceux comme le disait Laurent Gbagbo.

Analyse de Luc Mensah, journaliste et analyste politique




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