Le journaliste d’investigation Béninois, Ignace Sossou, emprisonné en décembre 2019 et libéré en juin 2020 après avoir passé six mois en détention carcérale pour ‘harcèlement’ sur les réseaux sociaux s’est, dans une entretien accordé à la rédaction de Beninwebtv, livré sur cette épreuve difficile et surtout prononcé sur ses conditions de détention.
Ci-dessous l’intégralité de l’entretien !
Bénin Web Tv : Vous avez passé 186 jours de détention à la prison civile de Cotonou. Que représente cette épreuve pour vous ?
Ignace Sossou : Cette épreuve est, pour moi, une nouvelle expérience de vie. Elle est, certes, douloureuse, mais elle m’a permis d’aller à la rencontre d’un autre univers, de toucher du doigt d’autres réalités inconnues du grand public. Vous savez, la vie d’un homme est faite d’événement heureux et malheureux. Il faut donc savoir apprécier, à sa juste valeur, l’un ou l’autre, quand il se présente.
En toute franchise, quel a été votre état d’âme, quand le verdict a été annoncé par le juge. Pour rappel, vous avez été condamné, en première instance, à 18 mois de prison ferme et 500.000 FCFA d’amende. Comment avez-vous reçu cette peine dans l’immédiat ?
Comme un coup de massue… Je m’attendais à une condamnation, mais pas à une peine aussi lourde. J’ai peut-être été naïf sur ce coup. J’étais donc troublé, pour ainsi dire, que j’ai eu une détresse émotionnelle. J’ai dû reprendre mes esprits pour ne pas laisser mes émotions du moment me dicter mon attitude. J’ai donc commencé par réfléchir à comment sera ma vie en prison. J’ai pensé aussi à la vie de mes enfants, en mon absence. J’ai surtout pensé à ma benjamine qui n’avait qu’un (01) mois. Je me suis dit : « Est-ce qu’elle va me reconnaître après mes 18 mois de prison ? ».
Racontez-nous un peu votre première journée en prison.
Le 24 décembre 2019, j’ai franchis le seuil de la maison d’arrêt de Cotonou, aux environs de 14 heures. Après les formalités d’usage, auxquelles sont soumis tous nouveaux détenus, j’ai attendu pendant environ 01 heure au parloir (espace où les détenus reçoivent de la visite – NDLR), avant d’être conduit dans l’enceinte carcérale. J’étais inquiet, mais surtout curieux. Inquiet parce que je n’avais aucune idée de ce qui m’attendait. Par contre, j’étais curieux de découvrir l’enceinte. Vous savez, on dit souvent que, « quand par la force des choses, on se retrouve à un endroit, ça peut être un pays ou un lieu spécial où on n’a jamais rêvé y être, on profite de chaque seconde qu’on y passe ». C’est ce que j’ai essayé de faire.
Une fois dans l’enceinte carcérale, j’ai été conduit au bâtiment qui m’a été attribué. Un bâtiment à la forme d’un magasin géant d’environ 200 mètres carrés. J’y ai jeté un coup d’œil rapide. L’aspect de l’intérieur m’a donné une frayeur, mais ne m’a pas démoralisé pour autant. Aussitôt, je me suis fait un ami. J’avais besoin de point de repère dans ce nouveau monde.
A mon arrivé à la maison d’arrêt, j’étais fatigué, j’avais faim et soif – je n’avais rien mangé depuis le matin. Les agents de police sont venus me chercher en garde à vue aux environs de 06h30 et j’ai passé toute la matinée au tribunal. J’avais aussi envie de me brosser les dents et prendre une bonne douche. J’ai passé quatre (04) jours de garde à vue où je n’avais pas ces privilèges, au vrai sens des termes. La première chose que j’ai donc faite, en prison, c’était de m’acheter à la boutique de quoi prendre une douche et me brosser les dents. Mon nouvel ami m’a ensuite donné à manger et à boire.
Aux environs de 18h15, on a été enfermé. On faisait environ 180 détenus dans le bâtiment. Il y faisait chaud, malgré la timide fraîcheur du mois de décembre 2019. Une douzaine de brasseurs tentait d’oxygéner cet enclos mal aéré. Malgré la fatigue, je n’ai pas pu dormir. L’ambiance dans le bâtiment était festive. Ça jouait de la musique un peu partout – c’était le réveillon de Noël !
Dites-nous, alors comment a été votre première nuit?
Horrible ! Mais j’ai pu fermer l’œil. Vous savez, dans notre pays, les procédures policières et/ou judiciaires sont inutilement longues et ennuyeuses. Je suis rentré dans la cellule de garde-à-vue, tout fatigué. J’ai donc pu dormir, couché à même le sol. Les moustiques se sont bien régalés ! (Rires)
A vous entendre, on a l’impression que vous n’avez pas souffert en prison. Ça fait quoi de faire la prison?
Une chose est d’être en prison, une autre est d’y vivre avec la mentalité de prisonnier. La souffrance, c’est dans la tête. Certes, parfois, on le sent dans la chair, mais nos plus grandes souffrances sont psychologiques. En prison, je me suis considéré comme en mission ou en reportage, dans un milieu difficile. Ça m’a vraiment aidé à vite m’adapter et à ne pas trop en souffrir.
Quel a été l’événement le plus douloureux de votre détention ? Est-ce qu’il vous est arrivé une fois de couler les larmes au cours de votre détention ?
Oui ! Plusieurs fois ! Vous savez, en prison, j’ai passé plus de la moitié de mon temps à faire la cuisine. Et chaque fois que je coupe l’oignon sauvage, je coule les larmes… (Éclat de rires) Oh non ! Je rigole ! Oui, j’ai coulé les larmes, une fois en prison. La première fois, c’était quand ma fille aînée (âgée de 5 ans – NDLR), après une visite, a refusé de suivre sa mère, pour rentrer à la maison. Elle disait à sa mère : « je vais rester avec papa ». Sa mère a dû l’emmener de force, puisque le temps de visite était déjà épuisé. La scène m’avait fait fondre en larmes.
Quels étaient vos passe-temps préférés en prison ?
La lecture et la cuisine. L’une des premières choses que j’ai faites en prison, c’est demander qu’on me ramène certains bouquins. J’ai une collègue en France, qui avait promis m’envoyer plein d’autres. Ensuite, je me suis abonné à la bibliothèque de la maison carcérale. En prison, je peux dire que j’ai retrouvé mes habitudes de cuisinier. Je passe parfois plus de la moitié de la journée à faire la cuisine.
Au début, je faisais beaucoup de sport. Ça m’aidait à évacuer mes ressentis. Mais, au bout de quelques jours, j’ai laissé tomber et je me suis concentré sur mes autres passe-temps : la lecture et la cuisine. Du reste, je dois dire que j’aime bien aussi me promener dans l’enceinte carcérale. Ça me permet de m’informer de tout et de rien.
Qu’est-ce qui vous a le plus marqué positivement pendant votre détention ?
Et bien… Beaucoup de choses m’ont marqué positivement au cours de ma détention. Sans faire des jaloux, je dirais que, ce qui m’a le plus marqué, c’est la prompte assistance que m’a témoignée l’ONG « Bénin Excellence », quand j’ai été malade. En effet, j’ai bénéficié de cette ONG une prise en charge intégrale du traitement et du suivi régulier du mal dont j’avais souffert. L’ONG avait l’habitude d’intervenir dans les prisons du pays pour porter assistance aux détenus. Mais leur geste à mon égard était vraiment marquant.
Après avoir vécu cette expérience, avez-vous aujourd’hui des regrets ?
Non ! Je n’ai aucun regret. Je crois que la vie est faite de hauts et de bas. Et on ne doit pas se plaindre s’il arrive qu’on se retrouve au fond du trou, même sans raison valable. Le plus important, c’est de voir le bon côté des choses et d’assumer pleinement son existence.
Pour finir cet entretien, avez-vous un message à l’endroit de ces journalistes béninois, en particulier, et ceux du monde entier, en général, qui ont vécu ou pourront, un jour, se retrouver dans votre situation ?
Et bien… si j’ai un message, c’est de leur dire de tenir bons, d’être résilients et surtout de ne pas trahir les valeurs qu’ils incarnent. Comme le Directeur Général (DG) de Bénin Web Tv aime le dire : « En tant que journaliste, nous ne sommes en guerre contre personne ». Et j’ai envie d’ajouter : « Nous sommes en guerre que pour le respect des principes fondamentaux qui régissent notre métier. Et pour ça, on ne doit avoir peur de rien ».
Ignace Sossou, je vous remercie.
C’est plutôt moi !
Propos recueillis par Angèle M. Adanlé.