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Togo/Radjoul Mouhamadou: « Dans les conditions actuelles, le maintien d’un scrutin non inclusif représente un danger pour la stabilité du pays »

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« Je ne sortirai pas ma réserve de haine », écrivait Léopold Sédar Senghor dans Neige sur Paris. Ce vers du poète-président m’accompagne depuis le début de la crise fulgurante qui menace ruine le corps politique togolais. Il m’aide à rester lucide, réfléchi et alerte. Depuis le 19 août 2017, mon cœur est ainsi resté immaculé face au choc des images violentes et à la bêtise humaine. Visages ensanglantés. Jambes cassées. Flancs déchirés. Dos matraqués. Flots de sang. Des gisants. Des réfugiés. Des cadavres offerts aux mouches. Quand on y songe, le petit Yacoubou Abdoulaye, fauché par balle à Mango en septembre 2017, aurait eu dix ans cette année. Le cliché de sa poitrine perforée, où se laissait deviner un caillot de sang coiffé d’une nappe de plasma, n’a cessé de hanter mes nuits depuis un an.

À la comptabilité macabre des victimes de cette crise sans fin qui dévore les enfants du Togo, il faut désormais inscrire Idrissou Moufidou, apprenti mécanicien tué par balle le 8 décembre 2018 à Togblékopé. J’ai (eu) mal à mon Togo. La mort d’un enfant est toujours une tragédie. Elle laisse un goût amer face à l’affligeant spectacle de la brutalité ordinaire du pouvoir togolais. Pour l’ordre de la force, banalité du mal et violence illégitime s’exercent arbitrairement et impunément sur des populations désarmées. Le temps de la justice viendra… Nous n’en sommes pas encore là. Ni pardon ni talion.

Le sentiment de haine étant étranger à mon cœur, à chaque fois que je doive prendre position politiquement, je suspends tout jugement moral. Je ne vais donc pas ici hurler avec les loups ou appeler l’échafaud pour les auteurs de ces bavures récurrentes. Pour mettre fin à cette série noire, j’en appelle à la refonte de la doctrine sécuritaire en usage dans l’encadrement des manifestations publiques ainsi qu’au sens de la mesure, de la proportion et de la retenue de la part des forces de sécurité. Je demande également l’arrêt immédiat du déploiement des forces de défense sur le théâtre de maintien de l’ordre ainsi qu’un bannissement des armes létales et engins lourds. J’émets aussi le vœu pieux que nos policiers et gendarmes recourent prochainement à l’objection de conscience en refusant de réprimer des manifestants pacifiques. Ce maintien au forceps d’un ordre injuste, à coût humain élevé, donne une piètre image du pays et de son armée. Seule l’admirable courage démocratique du peuple togolais sauve un peu les apparences, par ces temps moroses. Toute mort est une tragédie… Il n’y a pas à établir de hiérarchie entre les victimes. Là n’est pas le propos.

Au-delà des circonstances similaires de leurs meurtres, Abdoulaye et Moufidou sont devenus à leur corps défendant des symboles de la dégradation du climat politique au Togo. En m’autorisant de leurs mémoires, je joins ma voix à celles qui appellent non à suspendre mais à reporter les législatives du 20 décembre 2018. Contre la fétichisation de cette date, des nuages noirs obstruant l’horizon politique et les prévisions plus que sombres commandent une extrême prudence. Dans les conditions actuelles, le maintien d’un scrutin non inclusif représente un danger pour la stabilité du pays et éloignerait un dénouement de la crise par des voies consensuelles et pacifiques.

Il serait préférable que les partis politiques d’opposition associés au processus électoral reconsidèrent leurs positions. De façon globale, je ne vais pas me contenter de demander formellement un report de quelques semaines, mais une inversion complète du calendrier électoral afin que les législatives se tiennent après l’élection présidentielle. L’intérêt de cette manœuvre est clairement d’éviter, en cas d’alternance en 2020, une dissolution post-présidentielle voire une cohabitation belliqueuse qui équivaudrait à poursuivre la crise actuelle par institutions interposées. De plus, l’alignement des législatives sur la présidentielle mettra le Togo au diapason du modèle du quinquennat présidentiel tel qu’il se pratique en France depuis la révision constitutionnelle du 24 septembre 2000.

Par ailleurs, le report du scrutin législatif donnera plus de temps et de champ pour arbitrer les réformes préconisées (Constitution, Cour constitutionnelle, CENI etc.) par la Conférence des chefs d’Etat de la Cédéao. Le laps de temps, qui court de décembre 2018 au premier semestre 2020, offrira la possibilité aux différents acteurs de s’accorder sur la teneur, l’amplitude et les équilibres des réformes constitutionnelles et institutionnelles à apporter aux systèmes politique et électoral togolais. En partant de la projection que la présidentielle aura lieu au plus tard entre mars et juin 2020, il apparait que la date du 16 juillet 2020, correspondant à celle du troisième jeudi du mois, serait la plus indiquée pour lesdites législatives. En attendant, les parlementaires de la législature en cours conserveront leurs sièges et les obligations afférentes. Situation de crise oblige !

Il ne faut pas désespérer qu’un sursaut de décence ordinaire touche les cœurs de ceux qui se sont jetés à corps perdus dans une fuite en avant et une surenchère qui nous confinent à l’impasse et l’affrontement. Il est clair que des élections non inclusives ne sont pas une solution durable à la crise actuelle. Le coût d’un report du scrutin (prévu le 20 décembre) sera beaucoup moins onéreux que celui d’une guerre civile. L’avantage coût-bénéfice d’une inversion du calendrier électoral est sans commune mesure avec le maintien de cette date. La crise togolaise est arrivée à un de ces moments décisifs où, dans l’évolution d’un processus incertain, une fenêtre d’opportunité s’entrouvre. Il faut de l’audace et du courage politique pour s’y engouffrer. Afin de sauver la patrie en péril, il faut stopper la mécanique du chaos et la politique de l’impasse. Il n’y a pas de solution unilatérale à la tragédie togolaise.

Radjoul MOUHAMADOU

 




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