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Du franc CFA à l’éco : La difficile marche vers la souveraineté monétaire

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Décembre 2019, à Abidjan en Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara et Emmanuel Macron annoncent le lancement en 2020 de l’éco, une monnaie à huit pays qui va remplacer le franc CFA et va devenir le noyau dur de la future devise unique ouest-africaine. A trois mois de la fin de l’année, on se demande ce qu’est devenu ce projet.  

« Par un accord avec les autres chefs d’Etat de l’UEMOA, nous avons décidé de faire une réforme du franc CFA », déclarait le président ivoirien, Alassane Ouattara, le 21 décembre, en marge de la visite en Côte d’Ivoire, du président français Emmanuel Macron. Les deux chefs d’Etat venaient ainsi de signer, du moins dans leurs déclarations, l’acte de décès du franc CFA, une monnaie héritée de la colonisation, considérée comme un outil d’assujettissement des pays africains par leur ancien maître, la France. Depuis, des voix se sont élevées pour demander la disparition de cette monnaie.

Les changements annoncés

Trois changements majeurs étaient annoncés. D’abord, le changement du nom de la monnaie du franc CFA à l’éco ; ensuite l’arrêt de la centralisation de 50% des réserves de change au Trésor français et la fermeture du compte d’opération. Le troisième grand changement annoncé en décembre 2019 était le retrait des représentants de la France de tous les organes de décision et de gestion de l’UEMOA.

Une annonce qui avait réjoui l’économiste togolais, Pr Kako Nubukpo, symbole intellectuel de la lutte anti-CFA. « J’ai applaudi quand les présidents Macron et Ouattara ont annoncé, le 21 décembre dernier, le changement de nom du franc CFA en éco. A cette époque, nous n’avions pas encore le projet de loi qui modifie le Traité de l’union monétaire ouest-africaine » 

Mais la démarche d’Alassane Ouattara et Emmanuel Macron est décriée car considérée comme cavalière. En juin 2020, le président nigérian Muhammadu Buhari dont le pays représente 71% du PIB et 52% de la population de la Cédéao, a mis en garde contre la dislocation de l’espace communautaire en cas d’adoption unilatérale de l’éco. 

Eviter le piège de la France

L’économiste et ancien ministre togolais a vite fait de déceler les pièges contenus dans le projet de loi qui modifie le Traité de l’union monétaire ouest-africaine, qui a été adopté par le gouvernement français fin mai et qui est actuellement en discussion à l’Assemblée nationale française ainsi que dans les Assemblées nationales des pays membres de l’UEMOA. Pour Kako Nubukpo, « la flexibilité du taux de change tout comme le régime de ciblage de l’inflation sont deux éléments cruciaux qui ne sont pas réglés par ce nouveau traité, lequel présente l’eco comme un simple avatar du franc CFA, avec le maintien d’une parité fixe entre la future monnaie et l’euro ».

Or, l’eco est une monnaie destinée à 15 Etats, il ne s’agit plus d’une monnaie du Trésor français avec l’UEMOA. C’est pourquoi, il propose de clarifier les contours de cette monnaie de la CEDEAO, dont les principes ont été rappelés le 29 juin 2019 lors du Sommet des chefs d’Etat. « L’eco est une monnaie flexible, attachée à un panier de devises, avec un régime de ciblage de l’inflation alors qu’aujourd’hui, on voudrait nous faire adopter une version différente selon laquelle l’eco serait toujours attaché exclusivement à l’euro », avertit le Togolais.

Monnaie unique de la CEDEAO : mythe ou réalité ?

Deux écoles d’économistes s’opposent sur la question. D’abord, celle du prix Nobel d’économie Robert Mundell, qui se veut pessimiste. Elle évoque comme argument le fait que certains pays comme le Nigéria sont plutôt exportateurs de pétrole, étant rarement dans la même phase du cycle économique. Cela complique l’efficacité de la politique monétaire.

Pour leurs opposants plutôt optimistes, ce décalage permet de garantir la disponibilité permanente des réserves de change, car les cycles haussiers et baissiers se compensent, ainsi que le rappelait récemment le Pr Nubukpo dans un entretien avec La Tribune Afrique.

La souveraineté monétaire est un vieux débat né au lendemain des indépendances. Sylvanus Olympio, premier président du Togo indépendant, diplômé de la London School of Economics, avait fait de ce combat l’ADN de son programme politique. Le 15 janvier 1963, il devait signer l’accord qui sortirait le Togo de la zone CFA. Il est assassiné deux jours plus tôt.

C’est au début des années 1980 qu’est né le projet de création d’une zone monétaire unique de la communauté économique de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao). C’est un projet politique qui participe de la vision d’une Afrique unie. Depuis lors, on évolue de tâtonnement en tâtonnement, d’hésitation en hésitation. Parce qu’à l’arrivée, une monnaie unique de la Cédéao ouvrirait inexorablement la voie à une Afrique unie et plus forte. Pour cela, tous les moyens sont bons pour pousser la réalisation de ce projet le plus loin possible. Mais jusqu’à quand encore?

Kako Nubukpo espère en tout cas que « les déclarations du président Buhari ouvriront un vrai débat au niveau des chefs d’Etat, des parlementaires, des chercheurs, de la société civile ouest-africaine et africaine dans son ensemble, concernant les modalités d’une mise en place optimale de cette monnaie. »




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