Jean Kanate
Pour aborder cette question, nous avons le plaisir d’accueillir aujourd’hui le général Delavarde. Bonjour, général, et merci d’avoir répondu à notre invitation. Pour débuter, je souhaite vous présenter deux extraits de discours de ministres des Affaires étrangères. Le premier est celui du ministre indien des Affaires étrangères, Subrahmanyam Jaishankar, en juin 2022, où il exprime que l’Europe devrait abandonner son approche égocentrique, considérant les problèmes européens comme mondiaux, tandis que les problèmes mondiaux ne seraient pas de son ressort. Le second extrait provient de Sergey Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères, qui critique les actions agressives de l’Occident envers la Russie, les percevant comme une tentative d’entraver la démocratisation du système international et de maintenir sa domination, en particulier au travers du conflit ukrainien.
Général, partagez-vous ces critiques envers l’ingérence occidentale et l’interprétation des enjeux en Ukraine comme une question de souveraineté et de résistance à l’hégémonie occidentale ?
La longue histoire d’ingérence de l’Occident dans les affaires mondiales est bien documentée, et l’Inde, en tant que fondateur du mouvement des non-alignés en 1955, cherchait déjà à se distancer de cette influence. La Russie a également pris conscience de cette dynamique, en particulier après l’éclatement de l’ex-Yougoslavie. Ces événements ont marqué un tournant, notamment le bombardement de Belgrade par l’OTAN, poussant la Russie à préserver sa souveraineté. Cette volonté de souveraineté est également partagée par d’autres nations, comme l’Inde et la Chine, malgré leurs rivalités économiques.
L’élargissement des BRICS et l’Organisation de coopération de Shanghai sont des exemples de cette quête de souveraineté et de désengagement de l’hégémonie occidentale. Cependant, les divisions internes au sein de l’Occident, exacerbées par le conflit ukrainien, montrent les limites de sa politique étrangère et pourraient finalement mener à un réalignement géopolitique global.
En ce qui concerne le conflit israélo-palestinien, il est perçu comme un affaiblissement moral de l’Occident, exacerbant la désoccidentalisation mondiale. Les politiques actuelles des États-Unis, en particulier sous l’administration Biden, se trouvent dans une impasse éthique et stratégique, pris entre des engagements contradictoires envers Israël et une opinion publique mondiale de plus en plus critique.
Pour l’Europe, cette période de transition pourrait offrir une opportunité de redéfinir ses alliances et sa position dans un monde multipolaire émergent. La question reste de savoir si les puissances émergentes, en particulier la Chine, pourront proposer un modèle de gouvernance mondiale plus équilibré et respectueux de la souveraineté nationale, ou si nous assisterons simplement à un remplacement de l’hégémonie occidentale par une autre.
Merci, général Delavarde, pour cette analyse approfondie et vos perspectives sur ces enjeux cruciaux de la politique mondiale actuelle.